L’art du clown, ou comment redécouvrir l’enfant qui sommeille en nous…
Le jeudi 26 novembre, les élèves de première du lycée Châtelet en spécialité Théâtre ont pu, -malgré le nouveau confinement les privant de spectacles à aller voir- être initiés à l’art du clown.
Explications en détails de cette découverte, par Coraline Hubert.
Les lycéens pratiquant la spécialité théâtre étaient tous un peu déçus. Les spectacles et les ateliers s’annulaient les uns après les autres. Ainsi,sur les 9 à 10 sorties annuelles prévues dans le programme, les élèves n’ont pu assister qu’à celle de Crowd, en octobre dernier.
Depuis le début de l’année scolaire, un a telier ‘clown’ était prévu. Il a failli être annulé -comme beaucoup d’autres-, mais il a heureusement été sauvegardé.
La Clown
Durant notre heure de pratique théâtrale ce jour-là, de 10 à 13 heures, Justine Cambon nous a accueillis. Ancienne élève du lycée Châtelet -une dizaine d’années auparavant-, elle a commencé son parcours grâce à l’option théâtre proposée dans le cursus scolaire. Bonne élève, c’est ainsi qu’elle commença à apprécier les pratiques artistiques. Après son bac, elle débuta plusieurs années à l’université avant de réaliser que cela ne lui convenait pas. Elle dit elle-même s’être «trompée», car aucun des débouchés dans le milieu qu’elle étudiait ne l’intéressait plus que ce pourquoi elle se sentait faite : la représentation.
Elle fut comédienne quelques temps avant de se consacrer au clown. Elle prend ce personnage particulier pour redonner le sourire aux adultes ou aux enfants tristes, comme dans les hôpitaux par exemple.(Association Clown de l’espoir)
Étymologie et préjugés
Le clown, mot originellement anglais, désignait un paysan rustre ou balourd. Il venait lui-même du germanique ‘klönne’, qui voulait dire ‘une motte de terre’, et par extension, il pouvait nommer celui qui travaillait sur cette ‘motte de terre’ (le paysan, donc).Ce mot est utilisé en France et pour le théâtre à partir du XVIème siècle, et fit officiellement partie de notre langue à partir du XIXème siècle .
En rentrant dans la salle, je pensais donc -à tort- que l’atelier consisterait à faire « le guignol » comme certains disent. Cet image vient de la considération désuète des clowns de nos jours. Je ne savais pas que leur statut avait pu changer au fil du temps. Il me revenait encore à l’esprit le simple préjugé du « clown de cirque » avec ses habits colorés, ses chaussures trop grandes et son maquillage éclatant.
Même Le Larousse donne une définition du mot qui va dans ce sens :
« CLOWN[klun]n.m..1.Artiste comique maquillé et grotesquement accoutré, qui, dans un cirque,exécute des pantomimes bouffonnes ou acrobatiques »
Mais, au cours de cet atelier, j’ai commencé à saisir toute la complexité du clown du XXIème siècle.
Échauffements sur la thématique du sol et des éléments
Nous avons commencé par des échauffements. Nous nous sommes étirés –comme après une longue nuit de sommeil- puis nous avons imité une poupée de chiffon, c’est à dire en se levant puis en relâchant toute pression pour faire ‘tomber’ notre corps.
Ensuite, chacun s’est allongé par terre pour pouvoir se relever en quatre étapes. À des rythmes différents, nous avons caressé le sol, puis l’avons écrasé. Enfin, il fallait onduler et tournoyer dessus, pour revenir debout et terminer ce premier exercice. Ces quatre positions rappellent les différents éléments: les ondulations pour l’eau, les écrasements pour la terre, le fait de tournoyer pour l’air et les caresses énergiques pour le feu. Justine Cambon nous a demandé de réfléchir et de remercier le sol « qui nous soutient chaque jour » selon ses propres mots. Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle et cela m’a rendue perplexe (de manière positive.
Les élèves essayent d’écraser le sol à gauche et d’onduler dessus à droite.
Les règles
Le clown est un être spécial. En effet, le personnage doit se différencier de l’acteur, et c’est d’autant plus vrai ici car le clown moderne doit se servir de ses émotions et de ce qui lui vient à l’esprit pour faire rire, sans surjouer. Comme ses pensées viennent naturellement de l’acteur, on peut avoir du mal à séparer les deux.
C’est pour cela que Justine Cambon nous a donné une règle simple : le vouvoiement. Si elle nous disait ‘tu’, elle s’adressait à l’élève. Mais, si elle nous parlait en utilisant la personne ‘vous’, alors elle communiquait avec clown, le comédien. L’intérêt de cette règle était d’instaurer une bienveillance propice aux propositions en tous genres, de ne pas avoir peur de s’exprimer ou du jugement des autres.
J’ai, pour ma part, compris la démarche même si j’aurais évité le vouvoiement, quitte à trouver un petit surnom ridicule. Si le principe d’initier à l’art du clown consiste à réveiller l’enfant qui sommeille en nous, alors, je crois qu’il aurait été plus logique de ne pas vouvoyer.On peut s’imaginer une « grande personne rationnelle » avec ce pronom et je ne suis pas sûre que cela convienne parfaitement au clown.
Marche spontanée
Nous devions commencer à interpréter un clown qui nous ressemblait. Pour cela, une marche dans l’espace nous a mis en condition. On nous invitait à nous arrêter pour répondre en chœur à une question posée, comme par exemple :
« Comment vous appelez-vous ?
Que voulez-vous manger ce midi ?
Où aimeriez vous partir en vacances ? »
Puis, l’intervenante s’arrêtait sur une personne pour lui redemander sa réponse et pour en discuter. Le clown interrogé devait capter l’attention de tous les autres par le regard, pour créer un lien avec le ‘public’ et dans le but de bien faire comprendre sa réponse. Celle-ci, qui devait être spontanée, a dû être assumée pour que les gestes ou les expressions, faites sans s’en rendre compte, le soient aussi. Si le clown ne regarde pas son public, alors il est comme celui-ci, il est invisible.
Les erreurs sont également les bienvenues. Ainsi, un clown peut-être sûr de vouloir aller à « Los Angenes » pour les vacances, même s’il dit avec toute honnêteté être « nul » en géographie.
Chacun a pu être mis à l’honneur dans l’exercice suivant, dans lequel on devait crier nos prénoms individuellement. Juste après, les autres devaient se retourner pour regarder la personne, la montrer et clamer : « C’est elle/lui! »
Deux types de réactions alors : soit la personne est gênée d’être regardée, soit elle est fière et profite de cet instant de célébrité.
Le clown s’inspire de cela, en rendant publique ses premières pensées et émotions intérieures.
C’est assez compliqué au début, car il faut être ‘sans filtre’ mais sans faire trop de « commentaires » (terme utilisé par Justine Cambon). Un juste milieu que l’on arrive à trouver par moments, ce qui fait rire tout le monde. Mais l’instant d’après on se rend compte qu’on ne sait plus comment faire. On peut se sentir perturbé. Il est vrai que certaines situations permettent de placer un mot franc et juste, alors que d’autres non. On nous aidait beaucoup à trouver cet équilibre.
Ici, un élève est mis en avant par les autres. Le clown profite de sa réaction en tant que personne ou de ses erreurs pour jouer.
Ne pas se prendre au sérieux
Avant dernière activité. En continuant la marche, un compte à rebours nous est lancé : cinq secondes seulement pour se classer du plus idiot au plus intelligent, du plus beau au plus laid,…
Peu importe à la place à laquelle il se trouvait, le clown avait l’opportunité de réagir. Il pouvait se dire impuissant, désespéré, réaliste, content,vantard ou encore déçu. Un exercice permettant de nouveau de faire travailler la spontanéité la plus primaire pour déclencher des rires. Et ça a très bien marché ! Je pense avoir compris que le clown a des problèmes d’enfant : il est triste pour quelque chose qui nous paraît sans importance, et cela lui tient tellement à cœur que ça nous amuse.
Il se dispute pour être premier dans un classement ridicule, il est content d’être le plus idiot ou nous interpelle : en effet, le clown n’en n’est pas un sans son public. C’est aussi une source d’inspiration.
Les clowns se jugent eux même selon leur personnalité
Ayasin
Pour la dernière activité, on nous a réunis en cercle. Justine Cambon nous a appris une chanson en arabe qui s’appelait ‘Ayasin’ (il s’agit d’une sorte de prière).Il fallait la chanter à tout le monde puis à son voisin. Nous devions nous adresser à eux, là aussi le regard avait son importance. Au début, je me disais qu’elle nous apprenait cela en vain, car nous n’arrivions à chanter ni la langue ni les syllabes. De plus, la chanson était assez longue pour quelque chose à connaître en quelques minutes.J’aurais voulu, à ce moment là, avoir les paroles écrites au tableau.
Puis j’ai compris : nous avions les bases d’une chanson incompréhensible pour nous. Le but n’était pas de la chanter parfaitement, mais d’y mettre de cœur et d’être convaincu jusqu’au bout de ce que l’on faisait.
La chanson s’est vite réduite à quelques syllabes mais était assurée.
J’ai beaucoup aimé cette activité, elle était intéressante et pouvait nous enlever de potentiels blocages.
Voilà ce que j’ai pensé : « Si tu arrives à chanter n’importe quoi avec conviction, tu pourras faire de même en parlant. »
Le clown dit haut et fort ce qu’il croit être juste, et peu importe si les autres jugent.
Expérience personnelle
J’ai très bien vécu cet atelier. On y a beaucoup ri et j’en suis ressortie avec plus d’énergie qu’avant. Durant les exercices, j’ai voulu essayer le plus possible de me transformer en clown et je ne me suis pas sentie gênée.
Enfin si… Mais dans ce cas, j’ai essayé de le retranscrire dans le clown.
J’ai apprécié le côté imprévisible du clown, et ça m’a fait du bien de vouloir dire ce que je voulais (pas forcément ce que je pensais) sans barrières. On dit naïvement ce qui nous passe par la tête, vrai ou pas, gentil ou pas. Je me suis sentie beaucoup plus libre.
C’est peut-être ce qui nous manque en ces moments, la liberté. Celle de parler sans réfléchir au lieu de cacher sa spontanéité et une partie de sa personnalité pour n’offenser personne.
Je pense aussi que les confinements nous ont enlevé beaucoup de libertés, et cela m’a fait beaucoup de bien d’en regagner certaines, même si ce n’était que pour quelques heures…
À propos, le protocole sanitaire n’a que très peu influé sur moi. La seule chose que j’ai remarqué -et qui ne m’est arrivée qu’une fois ou deux depuis le début de l’année-, c’est que je n’ai plus du tout senti mon masque. Il n’existait pas, et je ne sentais même plus mon souffle rebondir sur ce morceau de tissu qu’on nous oblige à porter en permanence. C’est là que j’ai compris à quel point j’avais apprécié cet atelier.
Pour conclure, aujourd’hui un clown n’est plus un pitre grossier, mais un personnage rappelant l’enfance, préservé de notre monde beaucoup trop sérieux, avec des réactions spontanées, une palette d’émotions variée, un certain franc-parler et des convictions assumées. Le public reconnaît l’enfant qu’il était, et ça le fait rire, ce qui permet au clown d’exister. Rire est important, même essentiel pour vivre encore un peu en 2020.